La Chèvre de Monsieur Seguin est une des nouvelles issues des Lettres
de mon Moulin d'Alphonse Daudet. D'après Claude Gagnière, elle est
clairement attribuée à son nègre, Paul Arène[1]. Sous forme de lettre à un ami,
Pierre Gringoire, c'est un apologue inspiré (d'après les dernières lignes du
texte) d'une histoire populaire de Provence.
Pierre Gringoire, ami de Daudet, ne veut pas se faire chroniqueur dans un
journal, mais rester libre. Le narrateur lui fait des remontrances et lui
raconte alors l'histoire de la chèvre de monsieur Seguin. Celui-ci avait eu
déjà six chèvres, toutes mangées par le loup pour avoir voulu goûter à la
liberté de la montagne. Blanquette, magnifique petite chèvre, est bien traitée
par son maître, mais commence comme celles qui l'ont précédé, à s'ennuyer. Elle
confie à monsieur Seguin son souhait de partir dans la montagne, et essuie un
refus effrayé de son maître. Pour prévenir toute escapade, il l'enferme dans
une étable, mais oublie la fenêtre, que la chèvre utilise aussitôt pour quitter
les lieux. Elle découvre alors la montagne majestueuse, et passe une délicieuse
journée. Le soir tombe ; Blanquette entend la trompe de monsieur Seguin,
et le loup aussi... Elle décide alors de rester dans la montagne, et la lutte
avec son prédateur commence. Le combat dure toute la nuit ; enfin, le jour
se lève, et Blanquette, éreintée, se laisse dévorer.
Plus marqué encore que dans La Légende de l'homme à la cervelle d'or, le
genre semble franchement épistolaire. La lettre commence ainsi par A M.
Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris ; le narrateur s'adresse à son
ami de nombreuses fois au cours de l'histoire, notamment après la fuite de la
chèvre, ou à la fin, pour appuyer le fait que la morale lui est destinée.
Cependant, l'apologue est plus présent. Le narrateur lance, avant de
commencer le récit proprement dit, « Tu verras ce que l'on gagne à vouloir
être libre. », ce qui indique clairement la volonté d'enseigner quelque
chose à son lecteur. L'aspect fictionnel un peu naïf, notamment du don de
parole à la chèvre, fait penser à La Fontaine, célèbre pour ses apologues en
forme de fables. Enfin, quelques symboles viennent donner une teinte de
convention et de connivence et auteur et lecteur ; par exemple, Blanquette
est la septième chèvre de monsieur Seguin.
La morale est implicite. Il est dit en toutes lettres que « le loup se
jeta sur la petite chèvre et la mangea » ; cependant, le narrateur ne
dit pas clairement quel pourra être, d'après lui, le sort de Gringoire s'il
persiste à être poète.
Il est évident que le narrateur réserve à Gringoire, pour ses rêves de
poète, un futur opposé à celui décrit s'il accepte la condition de
chroniqueur : il n'aura ni « beaux écus à la rose », ni
« le couvert chez Brébant » (une table réservée et payée dans un grand
restaurant de l'époque à Paris)... Le loup sera peut-être la société
impitoyable, ou plus simplement la faim, évoquée dans le début du texte
(« cette face maigre qui crie la faim ») ; quelque soit
l'interprétation, le narrateur voit pour Gringoire le sombre avenir des
sans-le-sou et ses conditions associées.
Le style est riche, car très changeant tout au long de la nouvelle. Le
narrateur décrit ainsi très lyriquement et dans un langage imagé et parfumé
« l'amour de petite chèvre » qu'est Blanquette, ou la montagne
somptueuse qui honore sa petite visiteuse. Mais la dominante est en réalité le
tragique sous-jacent. Dès le début, « Tu verras ce que l'on gagne à
vouloir être libre. » est suivi immédiatement de « M. Seguin n'avait
jamais eu de bonheur avec ses chèvres. ». Plusieurs éléments viennent
rompre des situations agréables, présageant une funeste fin : Blanquette,
chez son maître, regarde soudain la montagne ; après l'évasion, le
narrateur dit « Nous allons voir si tu riras tout à
l'heure... » ; heureuse dans la montagne, la chèvre voit le soir
tomber, et « Tout à coup le vent fraîchit. » On voit ainsi une
accumulation, qui tend à préparer le lecteur à la mort de la chèvre. Enfin, la
succession de « Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la
mangea. » et « Adieu, Gringoire ! », sonne comme une
oraison funèbre. Le narrateur s'appuie alors sur la culture de la Provence pour
dire que cette histoire est véridique, et insiste sur le destin tragique de la
petite chèvre, en redisant la phrase de la mise à mort, cette fois en
provençal : « E piei lou matin lou loup la mangé. »
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